La catastrophe de Gignac

 

Le dimanche 7 décembre 1738

 

Voici le triste détail d'un spectacle des plus affreux..

Le septième décembre mil sept cent trente huit, le dimanche sur les trois heures du soir, presque tous les habitants de Gignac assemblés dans l'église paroissiale pour chanter les louanges du Seigneur, le Saint Sacrement étant exposé, le clocher d'une grande masse vient à s'ébouler. Au bruit de son horrible secousse, tout le monde fut si étourdi qu'on ne savait de quel côté se tourner pour se mettre à l'abri des ruines; ceux qui se trouvèrent sur le milieu et le fond de l'église se déterminant malheureusement à fuir vers la porte pour éviter une mort si prompte furent écrasés sous les ruines. Les autres ayant cherché leur asile dans le choeur furent garantis de cette mort affreuse.
Néanmoins leur crainte ne cessa pas, la chute de la voûte de l'église qui bientôt suivit celle du clocher effraya le reste du peuple qui se lamentant dans la nef n'avait d'autre ressource que celle des bruits lugubres qui régnaient dans tous les endroits de l'église et du choeur. C'est là que sans espoir que d'éprouver une mort semblable nous étions les tristes témoins du tombeau que chaque place avait formé au dernier coup de la chute. La poussière forma un nuage si épais qu'elle empêchait de nous voir les uns et les autres. C'est alors qu'à travers les cris nous crûment tous périr. Quelque temps après, le jour ayant paru on ne voyait que des gens qui élevaient leurs mains vers le ciel pour implorer le secours du Tout Puissant qui par ce malheur a voulu frapper nos coeurs pour nous porter à les lui consacrer pour le reste de nos jours.
C'est ici que nous eûmes le bonheur d'apercevoir une échelle le long du mur de la sacristie d'oû la plupart sortirent par la fenêtre. Quoiqu'échappés du danger de la mort, nos larmes ne cessèrent pas.
A peine les sains (rescapés) furent dehors qu'on était témoins de ceux qui regrettaient les ensevelis sous les ruines: ici l'on voyait une femme qui soupirait après son époux perdu, là un époux qui cherchait sa femme, d'un côté les enfants appelaient en vain leurs pères et leurs mères, de l'autre des amis tous éplorés. Et la frayeur qui saisit tous les esprits était cause qu'on ne pouvait donner aucun secours à la plupart de ceux qui de dessous les ruines imploraient l'assistance des vivants. Bientôt après le zèle d'un père, d'une mère, d'un frère, d'une soeur, d'un parent, d'un ami, d'une amie donna des forces à chacun. A peine soulève-ton des grosses pierres qu'on découvre des morts et des mourants dont le seul aspect arrachait de justes sanglots aux tristes témoins. Un enfant expiré entre les bras d'une tendre mère qui l'allaitait, une femme enceinte dont le fruit était à deux pas d'elle, des soeurs mortes embrassant le corps de leur mère, des amis et des amies entassés les uns sur les autres, sont-ils des spectacles qui puissent s'apercevoir sans arracher des larmes, sans jeter la consternation dans les esprits et sans abattre les coeurs les plus durs ?
Le souvenir d'un tel désastre arrache mes pleurs. Maintenant nous curé secouru de nos prêtres, des RR.PP. cordeliers et récollets sommes forcés de courir à tout moment les rues pour avoir le triste chagrin d'aller baptiser dans les maisons les enfants nés qui sont en danger de mort et administrer les sacrements à ceux qui avaient encore un faible reste de vie et d'accompagner par nos tristes sanglots dans le tombeau plusieurs personnes à la fois. Durant un jour entier sans compter tous ceux qui en grand nombre furent jetés pèle mêle dans des caveaux et dans des fosses qu'on avait creusés dans l'église de la paroisse, des pères infortunés embrassant leurs femmes et leurs enfants les jetaient eux-mêmes dans le tombeau. Quelle horreur l'on voit parmi ces tristes victimes, des hommes dont la perte va causer d'horribles désolations et une jeunesse sacrifiée qui a subi le même sort.
Le nombre de ceux qui sont morts est de cent six personnes sans compter les enfants qui ont péri par l'avortement ni les blessés dont il y en a en danger de mort.

Monsieur Ladoux, curé de Gignac.

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Mise à jour - Revised on 1.03.2012