Remboursement de dette

Le père de Victor, Charles Maurisset, habitait le Château-d'Oléron où il exerçait la profession d'armateur. Le dynamisme du XIXme siècle l'amena à créer une banque locale pour faire face aux besoins de plus en plus manifestes de ses concitoyens. Malgré sa bonne volonté, il ne réussit pas dans son entreprise.

Contemporains, nous sommes confrontés à ces faillites retentissantes qui enlèvent leurs maigres économies à bons nombres de petits actionnaires. Et pourtant tout espoir n'est pas perdu si .... Il faut parfois savoir attendre.
Dans le cas qui nous intéresse, 36 années séparent la faillite de Charles Maurisset, banquier au Château-d'Oléron, et la réparation faite par son fils Victor aux créanciers de son père. En 1882, la faillite de la banque Maurisset est prononcée par le Tribunal de commerce de la Charente pour une somme de 383.816,83 F. La réalisation des biens du failli avait permis de couvrir environ 40% des dettes. Puis en 1884, V. Maurisset réalise les biens qu'il possède en propre à Oléron pour une somme de 32.449,39 F afin de poursuivre le remboursement des créances de son malheureux père.

Au lendemain de la guerre de 14-18, Victor, alors âgé de 70 ans voulut poursuivre le dédommagement des créanciers de son père. Se sentant au terme de son existence terrestre et tenaillé par la situation de tous ces gens qui avaient alors fait confiance à son père, Victor entreprit ce geste de réparation. Maître Bonnet, notaire au Château-d'Oléron , fut chargé de retrouver les créanciers de son père ou leurs héritiers. Victor lui confia la liste des personnes qui avaient été lésées par cette faillite avec les sommes dues à l'époque des faits. Toutes les couches de la société de l'île se retrouvent dans la liste: notaire, laboureur, horloger, gendarme, officier de marine, officier d'infanterie, marin, bonne, huissier, coiffeur, curé, religieuse, serrurier, menuisier, médecin, forgeron, douanier, quincaillier, lingère, organiste, instituteur, receveur des postes ....

Sur 123 créanciers 12 ne seront pas retrouvés pour une somme de 88.012 F et sur ces 12, 1 moine et 2 religieuses sans héritier et qui en raison de la Loi de Séparation de L'Eglise et de l'Etat de 1905 qui a éteint les dettes des Congrégations (50.000 F environ) et la tante de Victor et soeur de Charles qui pour 20.012 F a fait don de cette somme à son neveu.

Les livres de compte de Victor et les talons des chèques que nous conservons pieusement montrent le résultat positif de cette entreprise alors que légalement rien ne l'obligeait seule la morale chrétienne qui l'investissait peut expliquer ce geste. Qu'on en juge.

NOTA : avec les dévaluations successives cette somme serait en 2001 - en pouvoir d'achat égal - de 1.489.113 francs soit 227.014 Euros mais ces mêmes 199.135 francs/1919 ne représentent plus que 68.196 francs/1883 !(source INSEE)

... La haute estime dans laquelle je vous tiens pour l'acte que vous avez accompli délicatesse, loyauté de conscience.

... Toute parole me semble impropre à traduire les sentiments inspirés par l'acte si rare et si délicat que vous avez accompli. Les vôtres peuvent être fiers de vous dans l'éternité.

... Je tiens à vous dire combien nous avons ressenti de l'admiration pour vous. Dans ce siècle où le veau d'or est adoré, bien petit est le nombre de ceux qui font passer avant tout les sentiments d'honneur et de probité absolus comme vous l'avez fait.

... Comment vous remercier Monsieur d'un si beau geste même si la somme est modeste. Les hommes aussi honnêtes que vous l'êtes sont si rares que l'on apprécie doublement des qualités semblables.

... Je tiens cependant à vs dire combien j'ai été touché de la délicatesse avec laquelle vous avez tenu à faire honneur aux engagements de Monsieur votre père.

... Petit-fils de Madame M.G., je considère comme étant de mon devoir de vs exprimer dès maintenant non pas de simples remerciements mais surtout l'hommage de ma profonde admiration pour ce geste plein de noblesse et d'une haute portée morale.

... Tout ce que tu viens de faire à la mémoire de ton excellent père est admirable et je comprends l'élan de sympathique reconnaissance de tes compatriotes oléronais. Ils sont renversés, étonnés de ce que tu as fait et cela me fait plaisir que l'on puisse enfin rendre justice à ton père. (Une cousine créancière pour la modeste somme de 583 F soit les revenus annuels de ses près sur l'Ile d'Oléron).

... Mon père admirait et appréciait votre famille, votre probité et votre noble geste ne l'eussent pas surpris et justifie sa confiance.

... Ma fille qui n'a pas connu son grand-père décédé en 1891 et qui a reçu le remboursement de sa dette saura-t-elle toujours comprendre la noblesse et l'honneur de votre geste ?

Tous les créanciers ou leurs héritiers, devait remplir un formulaire contre remise de la somme due. Nous avons conservé tous ces documents souvent accompagnés d'un petit mot comme ceux relevés ci-dessus.

Etant expressément expliqué que le présent paiement est fait volontairement et dans un sentiment de piété filiale par Monsieur Victor Maurisset, sans qu'il puisse résulter vis à vis des recevants ou de qui que ce soit, de novation ni de dérogation aux droits, résultant au profit de Monsieur Victor Maurisset, tant de la loi que de tous actes et renonciation; Monsieur Victor Maurisset entendant rester affranchi de toutes obligations vis à vis de qui que ce soit , notamment des créanciers de feu son père.

Le soussigné déclare n'avoir aucun titre établissant sa créance et prend l'engagement de le considérer, s'il en existait, comme nul et sans valeur.

Pour acquit + signature.

Conclusion : un second geste significatif d'un homme d'honneur qui préfère se séparer d'un telle somme plus tôt que de porter la faillite de son père vieille de 36 ans.

périodes	sommes versées
mai 1919	94.690,25 francs
juin 1919	21.638,94 francs
juillet 1919	49.016,82 francs
septembre 1919	13.675,91 francs
décembre 1919	4.310,28 francs
février 1920	5.136,98 francs
mars 1920	10.666,76 francs
total versé	199.135,94 francs avec les intérêts